Tout le monde en parle dans les cuisines : le nouveau label fait maison. Il encadre la mention « fait maison » des restaurants. Il est rentré en vigueur mardi 15 juillet 2014. Comment appliquer cette nouvelle norme ? Ce label va-t-il changer notre manière de travailler ? Doit-on craindre une hausse des prix des restaurants ? Voici quelques explications suivies de mon humble avis sur le sujet :
Définition du label fait maison
Ce nouveau label permet de distinguer deux types de plats :
LES PLATS FAIT MAISON : cuisinés sur place (à base de produits bruts)
LES PLATS INDUSTRIELS : pré-cuisinés réchauffés (surgelé, poche, conserve)
Un produit brut est « un produit alimentaire n’ayant subi aucune modification importante, y compris par chauffage, marinage, assemblage ou une combinaison de ces procédés »
Les produits bruts peuvent être réceptionnés « épluchés (à l’exception des pommes de terre), pelés, tranchés, coupés, découpés, hachés, nettoyés, désossés, dépouillés, décortiqués, taillés, moulus ou broyés, fumés, salés, réfrigérés, congelés, surgelés, conditionnés sous vide »
Sont également considérés comme produits bruts : « salaisons, saurisseries et charcuteries (à l’exception des terrines et des pâtés), fromages, matières grasses alimentaires, crème fraîche et lait, pain, farines et biscuits secs, légumes et fruits secs et confits, pâtes et céréales, choucroute crue et abats blanchis »
La liste des produits bruts comprends également : « levure, sucre et gélatine, condiments, épices, aromates, concentrés, chocolat, café, tisanes, thés et infusions, sirops, vins, alcools et liqueurs, pâte feuilletée crue » et « sous réserve d’en informer par écrit le consommateur, les fonds blancs, bruns et fumets »
Cas particuliers : Frites, Terrines & Pâtés
FRITES : la pomme de terre est la seul exception pour les fruits et légumes. Les frites surgelées ne sont PAS considérées comme un produit brut. De même pour les frites livrées en sachet pré-découpées, pré-épluchées, sous-vide, etc.
Vous ne pourrez donc PAS afficher la mention « fait maison » sur un confit de canard maison accompagné de frites surgelées. Il faudra obligatoirement éplucher, couper et cuire vos pommes de terres. A l’inverse, un poulet basquaise élaboré avec du poulet frais et des légumes découpés surgelés (poivrons tomates, oignons…) sera lui considérée comme « fait maison ».
PÂTÉS et TERRINES : Servis seuls, vos pâtés et vos terrines devront évidemment être fait maison (sur place, à partir de produits bruts). Si vous souhaitez afficher la mention « fait maison » sur vos plats contenant du pâté ou de la terrine (viandes en croûte, légumes farcis…) vous devrez impérativement faire vous même le pâté ou la terrine (sur place, à partir de produits bruts).
Cas d’école : la crème brûlée « maison »
AVANT le label fait maison : une crème brûlée pouvait être « maison » en transformant un ingrédient brut sur une préparation industrielle (faire fondre du sucre sur un fond blanc industriel). AVEC le label fait maison : si les restaurateurs veulent garder le même procédé, ils devront ajouter sur leur carte : Nos préparations pour crèmes brûlées sont réceptionnés auprès d’un fournisseur extérieur.
Ceci dit, au Saint-Hubert, on préfère largement préparer une petite tarte maison plutôt que de diluer une mauvaise crème brûlée industrielle… Ça demande un peu plus de temps certes, mais c’est bien meilleur et surtout ça ne revient pas plus cher !
Plats industriels : le grand n’importe quoi
D’après l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), 80% des restaurateurs français ne font que de l’assemblage. Certains propriétaires choisissent ces plats industriels pré-cuisinés pour gagner du temps et de l’argent : diminuer le coût de leur main d’œuvre et augmenter leur marge. Certains « restaurants » (les « ouvreurs de sachets » comme on les appelle dans le métier) vont même jusqu’à proposer 100% de plats industriels pré-cuisinés. Il était temps de mettre un peu d’ordre dans ce grand n’importe quoi.
Label fait maison : un outil supplémentaire
Pour ceux qui critiquent ce nouveau label fait maison (ou qui le considère inutile, et ils sont nombreux), laissez-moi vous faire part d’une petite réflexion que mon père m’a fait un jour. Je faisais des travaux chez moi, je m’acharnais depuis 2 heures sur un plancher en insultant l’outil qui sert à caler les planches. D’un coup, mon père me lance, en parlant comme Maître Yoda dans StarWars :
« Ne te plains jamais d’un outil. Apprends à bien t’en servir ou fabrique ton propre outil »
Quand vous utilisez un outil pour la première fois, vous ne saurez pas vous en servir. C’est normal. Il faut être patient, tester, demander conseils… ça ne sert à rien de s’acharner sur l’outil ! Ce label fait maison a été pensé, rédigé et validé après l’étude de nombreuses requêtes (en provenance d’artisans et d’industriels). Combien de projets de décrets ont été lancés sans jamais voir le jour ? Cet outil est imparfait mais il a le mérite d’exister.
Un texte à étudier de près
Avant de juger définitivement ce nouveau label fait maison, je vous conseille de lire le texte complet du décret ou à consulter la version courte rédigée par l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie). A mon sens, ce label représente un outil concret pour ralentir le « tout-industriel ». Il comporte des lacunes, mais c’est une première étape importante pour limiter l’arrivée massive de plats industriels dans l’assiette de nos clients. Utilisons ce label (ou non) ou bien proposons des solutions pour l’améliorer. En résumé : critiquons de manière constructive !
Un label utile aux yeux des clients
Le label fait maison est avant tout destiné à rassurer nos clients. Nous devrions nous féliciter qu’un outil supplémentaire soit mis à notre disposition : avec ce label, le consommateur dispose d’un nouvel outil pour distinguer les restaurateurs entre eux. D’après les premiers sondages et témoignages, le label fait maison est perçu comme « utile » aux yeux des consommateurs. N’oublions jamais : le client est roi !
Un label peu apprécié par la profession
Le texte définitif ne convient pas à tout le monde. Il suffit de lire les multiples articles sur le sujet pour s’en rendre compte. Principal reproche : autoriser l’assemblage de produit congelés et l’intégration de produits industriels. Sur ce point, tous les artisans que je connais sont d’accord. Les cuisiniers qui élaborent des plats à base de produits frais ne comprennent pas l’intérêt d’un tel label.
La définition du mot « brut » est difficile à avaler
Il aurai fallu être beaucoup plus exigeant (et plus cohérent) sur la définition du terme « Produits bruts ». Aux yeux de vrais cuisiniers, les exceptions « produit bruts congelés, livrés épluchés, rappés, etc » décrédibilisent totalement ce nouveau label fait maison. L’utilisation du mot « brut » est pervertie et pose un vrai problème aux artisans : une matière « brute », c’est une matière non transformée, pure, arrachée du sol, de la terre ou des océans. Une matière brut c’est une matière « non travaillée ». Cette question me hante depuis plusieurs jours : POURQUOI AVOIR UTILISÉ LE MOT «BRUT» ?!
Un label qui incite à cuisiner sur place
Le label fait maison va inciter certains propriétaires à cuisinier sur place. Pour un artisan qui cuisine ses plats sur place à partir de produits frais, ce détail semble peut-être dérisoire; mais à l’échelle du pays, ce label va limiter les abus du « tout pré-cuisiné ».
Pour un client, quel est l’intérêt de venir manger un Magret de canard congelé de chez M*** ? Pourquoi payer 8€ un plat industriel sous-vide acheté 2€ par le restaurateur ? A ce prix là, il vaut mieux rester chez soi et se faire griller une bonne viande ! Si ce genre de pratique devaient se généraliser, nos clients n’auraient plus aucune raison de venir au restaurant : attention danger !
Un label qui valorise le travail des cuisiniers
Le label fait maison valorise la cuisine au sens moderne du terme. N’oublions pas que de nombreux restaurants réputés – voire étoilés – utilisent régulièrement des produits industriels (sauce anglaise, jaunes d’œuf en briques, etc) soit pour des raisons d’hygiène, soit pour des raisons pratiques. Les produits « industriels » ne sont donc pas des ennemis à abattre, mais l’utilisation abusive de ces produits devait être régulée. Ce label fait maison réponds en partie à ce problème.
Le label fait maison encadre l’utilisation de produits industriel, il ne l’interdit pas. Que vous utilisiez de la viande et des oranges fraîches ou de la viande et des oranges surgelées, votre canard à l’orange sera considéré comme fait-maison. Certains cuisiniers hurlent au scandale, et ils ont en partie raison. Mais voyons les choses en face : la cuisine ne passe pas seulement par l’utilisation de produits « frais », la cuisine passe aussi par une cuisson juste, une combinaison d’aromates, la création d’une sauce originale et d’une bonne présentation.
Quand je cuisine un plat, je cherche à me faire plaisir tout en faisant plaisir. Ce plaisir partagé, c’est LA clé du métier de cuisinier. Pour un cuisinier, quel est l’intérêt professionnel de faire mijoter au micro-ondes une Raie au beurre blanc et aux câpres sous vide de chez G*** ?? Le « réchauffage » ou « l’assemblage » de produits pré-cuisinés est d’une profonde tristesse et n’a absolument aucun intérêt pour le cuisinier.
Un label qui régule l’activité des « spéculateurs »
Essayons de voir l’arrivée du label fait maison comme quelque chose de positif : ce label ne s’adresse pas aux artisans cuisiniers mais aux restaurateurs spéculateurs. Encore une fois, rappelons que certains établissements ne proposent QUE des plats pré-cuisinés. Pourquoi ? Pour faire un maximum de profits en fournissant un minimum d’effort. On dit souvent que certains restaurateurs ne peuvent pas faire de plats maison pour des raisons techniques ou financières. Je leur réponds très cordialement : changez de métier !
Les ouvreurs de sachets nuisent à l’image de notre profession. On régule bien la « mauvaise » finance, pourquoi ne pas réguler la « mauvaise » restauration ? A mon sens, l’objectif de ce nouveau label fait maison est noble : ralentir l’arrivée massive de plats industriels pré-cuisinés. C’est l’image de la gastronomie française toute entière qui est en jeu.
Doit-on craindre une hausse des prix ?
Prions pour que certains restaurateurs n’augmentent pas leurs tarifs. Si certains profitent de ce label pour augmenter artificiellement la valeur ajoutée de leurs produits, ce sera un échec cuisant. Manger une cuisine « faite maison » au restaurant ne doit PAS devenir un luxe. Les clients des petits bistrots indépendants doivent garder le droit de bien manger pour pas cher.
Au Saint-Hubert, après 13 ans d’exploitation, nous avons réussi à trouver l’équilibre entre « cuisine maison » et « prix juste ». De mon point de vue, c’est sur ce point que les restaurateurs responsables doivent travailler, surtout en période crise.
Mon avis sur le label fait maison
- Il a le mérite d’exister, même si il est critiquable sur de nombreux points.
- C’est une avancée positive pour réguler les abus des « ouvreurs de sachets ».
- C’est un moyen concret pour ralentir l’arrivée massive de plats industriels.
- C’est un premier pas vers la valorisation du savoir-faire des cuisiniers.
- C’est une étape importante vers la reconnaissance du métier de cuisinier.
- Il n’est pas obligatoire. C’est un label non contraignant, sur la base du volontariat.
Conclusion : une affaire à suivre !
Le label fait maison version 2014 est loin d’être parfait, mais il obligera peut-être les pseudo-restaurants à faire « un peu » de cuisine, ce sera toujours ça de gagné. Pour les cuisiniers passionnés, ce label ne change pas grand chose : nous continuerons à faire mijoter nos petits plats maisons, comme avant.
Le label fait maison propose une « petite » avancée vers plus de transparence. Il faudra attendre le futur label « Artisan-cuisinier » (déjà en discussion) pour espérer une véritable reconnaissance de notre savoir-faire.
Quoi qu’il en soit, les cuisiniers passionnés doivent garder confiance. Si les plats industriels touts-faits sont de « vilains démons » qui nuisent à l’image de la gastronomie française (et aux mythes qui l’entourent), alors nous en sommes les anges gardiens. Tenez bon !
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A très bientôt !
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